QUI ETAIT THOMAS SANKARA ?
Né en 1949, le capitaine Thomas Sankara est arrivé au pouvoir
le 4 août 1983. Ce jeune militaire n’a cessé de susciter
l’admiration des peuples par sa simplicité. Il se sentait dans
la société plus un homme qu’un chef d’Etat. Beaucoup
d’Etats lui rendent hommage : le lycée Thomas Sankara à Brazzaville
en est un exemple. Les idées de ce jeune Africain sont des chemins
tracés pour l’avenir de l’Afrique mais aussi de toute l’Humanité.
Il défendait la cause de tous les délaissés du monde
: "Je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina tant aimé mais également
au nom de tous ceux qui ont mal quelque part (…) Mon pays est un concentré de
tous les malheurs des peuples". Thomas parle comme Lumumba, Cabral, Nkrumah,
d’indépendance, de liberté des peuples, de solidarité,
d’unité de l’Afrique, d’intégrité : "Le
bonheur, le développement se mesurent ailleurs sous forme de ratios,
de quintaux d’acier par habitant, (…) nous, nous avons d’autres
valeurs."
LA LIBERATION DE L’AFRIQUE
"
On ne décide pas de devenir chef de l’Etat ; on décide
d’en finir avec telle ou telle forme de brimade, d’exploitation,
de domination. C’est tout."."Vivre africains, pour vivre libres
et dignes"
Après la traite négrière et la colonisation, l’Afrique
demeure toujours sous la domination de l’Occident. Cette domination
apparemment non violente mais très destructrice est consciemment organisée
par les pays riches pour continuer leur domination, sous une autre forme :
les pays pauvres restent ainsi les fournisseurs à très bas prix
des matières premières vitales à l’industrie occidentale.
Sankara voulait libérer son peuple de cette logique là : mais
l’avenir qu’il prônait ne peut être possible que si
l’Afrique se libère totalement du joug occidental en s’unissant,
en assurant son éducation de masse, en protégeant la santé de
ses populations et la pureté de son environnement naturel et en se
réappropriant ses richesses.
Après les indépendances, les pays du Nord se sont entendus
afin de reconquérir
le continent noir pour en exploiter les habitants,
les ressources naturelles et financières. Cette politique a coutume
d’être appelée "aide au développement"
et
s’est accompagnée d’offres de prêts qui ont poussé à la
dette. Sankara l’évoque en ces termes :
"Nous encourageons
l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide.
Mais en général
la politique d’assistance et d’aide n’aboutit qu’à nous
désorganiser, à nous asservir et à nous déresponsabiliser." " La
dette est une reconquête savamment organisée de l’Afrique,
(…) pour que chacun de nous devienne l’esclave financier.""C’est
tout un système qui sait exactement ce qu’il faut vous proposer.
(…) Ce sont des placements heureux pour les investisseurs."
Les P.A.S., aujourd’hui Initiative PPTE, imposés par la Banque
Mondiale et le FMI
(et qui ont, entre autres, causé le chômage,
désorganisé le système éducatif et sanitaire depuis
80),
sont la conséquence de cette dette : grâce à la dette,
le FMI dirige les économies des pays pauvres.
Pour mettre fin à cette
politique "dirigée" et reconquérir l’indépendance,
il propose : " Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour
nos peuples
que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles
qu’[on a] essayé de nous vendre 20 années durant.
Il ne
saurait y avoir pour nous de (…) développement en dehors de cette
rupture."
Vu le danger à s’engager seul dans un combat contre la dette,
il supplie les chefs d’Etat africains le 29.07.87 à l’OUA
de constituer un front uni : " Nous ne pouvons pas rembourser la dette
parce que nous n’avons pas de quoi payer, (…)
parce que nous ne
sommes pas responsables de la dette.(…) que notre conférence
[le dise] clairement.
Ceci pour éviter que nous allions individuellement
nous faire assassiner (…).
Si le Burkina Faso, tout seul, refuse de
payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence.
" Au
sortir de cette conférence, il est resté seul…le 15 octobre
87, 2 mois ½ après, il est abattu :
Th. Sankara est mort pour
la libération des peuples africains. Il a présidé 4 ans. " Nous
avons clairement conscience que nous dérangeons.
La question est de
savoir qui nous dérangeons : la minorité ou la majorité ?"
RELATIONS INTERNATIONALES et FMI
"
Nous avons refusé les prêts de la BM pour alimenter des projets
que nous n’avons pas choisis…
Nous avons dit au FMI : ce que vous
nous demandez, nous l’avons déjà fait. Nous avons réduit
les salaires, assaini l’économie,
vous n’avez rien à nous
enseigner. Or, à chaque fois que nous parlions au FMI, il nous fallait
fournir toujours de nouveaux gages.
Il nous est apparu que ce qu’il
cherche va bien au-delà d’un contrôle de gestion
et que
ce dont il s’agit n’est autre chose qu’un contrôle
politique."
"Nous refusons les blocs. C’est notre ligne de fond. On ne peut
pas se retrouver avec tel ou tel camp."
"Il n’y a pas de meilleure stratégie que le renforcement
de la coopération Sud-Sud en matière d’assistance technique."
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DIGNITE ET INTEGRITE
Il change le nom du pays : la Haute-Volta devient Burkina Faso ("Pays
des hommes intègres"). "On ne peut rien faire tant qu’on
n’impose pas aux mentalités des schémas de rigueur". "Il
nous faut travailler à décoloniser les mentalités, et
réaliser le bonheur à la limite des sacrifices auxquels nous
devons consentir"."Je souhaite que la conviction gagne tous les
autres pour que ce qui semble être aujourd’hui des sacrifices
devienne pour eux des actes normaux."
Sankara veut que les Burkinabè vivent "au niveau du pays réel".
Il roule en Renault 5 et impose une sévère diminution des dépenses
des dirigeants. La Lybie ayant pris en charge ses frais de mission, il les
rendit à la caisse de l’Etat. "Lorsque nous recevons un
Ambassadeur, nous l’amenons en brousse, il emprunte des routes chaotiques,
il souffre de la poussière." L’empereur des Mossi sera privé d’électricité car
ni son père ni lui n’ont payé depuis des années
la facture. Sankara crée une émission radio : le mardi soir,
les auditeurs peuvent, en direct, interpeller les dirigeants.
"Celui qui se bat contre les détournements de fonds est taxé de
marxiste-léniniste.""La meilleure garantie contre la corruption,
c’est le contrôle du peuple." Voilà enfin un pays
où vous avez honte de proposer un "cadeau" à un douanier
!" s’exclame un visiteur européen. Il lutte contre la corruption
par des procès retransmis à la radio. Mais aucune peine de mort
n’est demandée, juste des mises en résidence surveillée
et le remboursement des sommes volées.
Le budget de l’Etat passe de 58 milliards de cfa en 83, dont 12 milliards
partent à la dette, à 93 milliards en 87. En 83, le budget faisait
apparaître un déficit de 695 millions de cfa ; en 84, de 1 million
de cfa mais en 85, un excédent de 1 milliard 985.000 cfa.
SOLIDARITE NATIONALE
"
Le militaire doit vivre et souffrir au sein du peuple auquel il appartient,
finie l’armée budgétivore. Désormais, elle sera
aux champs (..), elle construira des écoles et des dispensaires dont
elle assurera le fonctionnement, entretiendra les routes et transportera le
courrier, les malades et les produits agricoles (…).L’armée
nationale populaire ne fera de place à aucun militaire qui méprise
son peuple, le bafoue et le brutalise"."Un militaire sans formation
politique et idéologique est un criminel en puissance".
Dans les assemblées des Comités de Défense de la Révolution,
jeunes, femmes et vieillards enfin se sentent concernés par leur destin
et savent qu’ils peuvent l’orienter."Nous avons créé une
caisse de solidarité révolutionnaire à laquelle des milliers
de Burkinabè contribuent.""Où trouver l’argent
[pour une route] ? Ca n’intéresse pas les bailleurs de fonds
et si c’était le cas ils nous imposeraient des conditions qu’un
pays aussi pauvre que le nôtre ne pourrait pas supporter. Alors, imaginons
une solution : chaque Burkinabè verserait 800fcfa et en un an, le peuple
burkinabè lui-même financerait la construction de cette route."
INDEPENDANCE ET SOUVERAINETE
1. "Fabriquons et consommons burkinabè" Sankara porte le
Faso Dan Fani, en coton local tissé au Burkina, pour utiliser les produits
textiles. Le chiffre d’affaires de la branche "cuir et peaux" a
doublé en une année grâce au lancement d’opérations "sacs
d’écoliers", ou encore "étuis à pistolets".
En 84, 400 tonnes de haricots verts ne peuvent être exportés,
le gouvernement a mené campagne pour convaincre les Ouagalais de consommer…des
haricots verts. C’est peut-être cela la véritable révolution
dont rêve Sankara : vivre la réalité du pays, imaginer
des solutions à la portée des Burkinabès, se remettre
en cause tous les jours. "Je sais que je ne détiens pas la solution
parfaite mais s’il n’y avait que 60% de juste dans ce que je décide,
je le ferais. Et là, selon moi, nous sommes au-dessus de ce pourcentage."
Naissent une profondeur et une maturité insoupçonnables chez
les jeunes : ils n’attendent plus l’assistance étrangère.
2. Souveraineté alimentaire et agriculture "Il est normal que
celui qui vous donne à manger vous dicte ses volontés." "Quand
vous mangez les grains de mil, de maïs et de riz importés, c’est ça
l’impérialisme, n’allez pas plus loin". En 4 ans,
le Burkina est devenu alimentairement indépendant. Les commerçants
de céréales doivent respecter les prix fixés par le gouvernement.
Les magasins d’Etat approvisionnent toutes les régions. L’aide
aux coopératives amène le groupement des parcelles et permet
l’usage des machines. Dans les coopératives, les jeunes, libérés
de l’autorité des anciens, sont plus aptes au changement et aux
initiatives modernes. Un tel bouleversement dans les habitudes s’est
heurté à de fortes résistances : une telle réforme
nécessite un effort, une volonté politique et des campagnes
de sensibilisation.
ECONOMIE
"
Notre développement passe d’abord par la maîtrise de l’eau,
puis la création d’une industrie agro-alimentaire capable d’absorber
et de conserver les produits agricoles. A quelle vitesse ? A la nôtre.
Nous préférons de petites unités à mi-chemin entre
l’industrie et l’artisanat. Nous préférons les "teufs-teufs" aux
machines électroniques". " Nous ne sommes pas opposés à l’entreprise
privée qui ne porte pas atteinte à notre honneur, notre dignité,
notre souveraineté."
ENSEIGNEMENT ET CULTURE
1. Aucun développement n’est possible sans des acteurs instruits.
Mais le Burkina est pauvre :"100% du budget ne pourrait même pas
suffire à scolariser tous les enfants". Pourtant, avec l’aide
des populations, de 83 à 85, le taux de scolarisation est passé de
16,5% à 20,9% et, en 86, à 24% selon l’Unicef (avant,
il augmentait de moins de 1%/an). En 85, il augmente de 16% le nombre d’enseignants.
Pendant la saison sèche, il alphabétise les paysans désoeuvrés.
On alphabétise en 10 langues du pays et on forme la population sur
l’hygiène, la santé de base, la gestion pour les paysans
et les commerçants.
2."Il n’y a pas de société humaine sans culture
et de culture sans correspondance avec une société." Les
semaines nationales de la culture, instaurées en 83, se déroulent à tour
de rôle dans les villes du pays, ce qui permet la construction de salles
de spectacles et de structures touristiques. On assiste à une forte
augmentation du nombre de troupes. Sankara ajoute aux arts habituels batik,
peinture, sculpture, bronze, tissage, stylisme, lutte traditionnelle, cyclisme
amateur, cuisine, coiffure, masques, magie. La télévision offre
une large place aux programmes culturels. Toute exportation d’objet
culturel reconnu comme spécimen authentique doit être autorisée
par la Direction du Patrimoine.
ENVIRONNEMENT (Déforestation et eau)
On se mobilise aujourd’hui contre le réchauffement climatique
et la déforestation ; Sankara s’en inquiétait depuis 86
:"La perturbation impunie de la biosphère se poursuit. (…)
Ces engins qui dégagent des gaz propagent des carnages".
1. 94% de l’énergie venait du bois : "Si l’on mettait
bout à bout des charrettes traditionnelles de transport du bois, il
ferait 4,5 fois la distance du nord au sud de l’Afrique". Chaque
famille doit planter 100 arbres chaque année pendant 5 ans : en 15
mois, 10 millions d’arbres ont été plantés pour
faire reculer le Sahel. Si chaque pays africain agissait ainsi, le combat
contre la déforestation serait gagné sans recours à l’Occident
!"Il est interdit d’écrire sur un seul côté d’une
feuille". En 88, un ambassadeur allemand déclarait avoir planté 50
arbres en 3 ans de mission. Pour se marier, on se présente à la
mairie avec de jeunes arbres à planter. Promotion du gaz et des foyers
améliorés. Il lance "les 3 luttes" : contre la coupe
abusive du bois, la divagation des animaux et les feux de brousse. Ces campagnes
devaient s’étaler sur nombre d’années...
2. Construction de barrages, de retenues d’eau, aménagement
de sites anti-érosifs avec les populations. Une retenue d’eau
coûtait 30 millions cfa ; avec la participation des gens et des ONG,
ce coût tombe à 12,5 millions. 18 barrages construits en 85,
contre 2 en moyenne avant Sankara. Le bilan officiel fait état d’une
réalisation du Programme Populaire de Développement de 80% en
86, ce qui est un succès compte tenu de l’ampleur des objectifs.
SANTE
"
Un village, un poste de santé primaire. Mais si on veut assurer des
soins entièrement gratuits à chaque Burkinabé,
tout le
budget de L’Etat y passera sans que satisfaction soit obtenue"(Ministre
de la Santé). Les communautés doivent choisir parmi elles un
agent de santé et une accoucheuse auxiliaire. On vaccine 2 millions ½ de
Burkinabès : l’OMS félicite Sankara.
Il éradique
la polio, la rougeole et la méningite faisant chuter le taux de mortalité infantile
alors le plus haut d’Afrique.
Hospitalisation : avec un certificat d’indigence,
gratuité totale (paysans notamment). Mise en place de la médecine
du travail avec soins gratuits. Des guérisseurs sont consultés à l’hôpital.
Le prix des médicaments est uniformisé.
LOGEMENT et URBANISATION
"
Nous tentons de réduire au maximum la différence entre la ville
et la campagne en développant en campagne toutes les infrastructures
pour rendre agréable la vie en campagne et freiner (…) l’exode
rural.". Les habitations spontanées,
c’est-à-dire
sans adduction d’eau ni électricité ni évacuation
des eaux sales et autres ordures ménagères qui abritaient 60%
des habitants couvraient 65% du territoire de la ville. Nul autre gouvernement
n’aurait pu se permettre ce qu’a fait celui de Sankara. Au début
de la révolution, mobilisée, la population d’un quartier
se retrouvait soit pour ramasser les ordures, creuser ou réfectionner
les caniveaux, boucher les trous des routes. Puis, ce fut la destruction des
quartiers insalubres. 62.000 parcelles ont été distribuées
entre 83 et 87, plus qu’entre 60 et 83.
Il fallait plus d’un million
pour obtenir une parcelle ; depuis la révolution, l’Etat n’exige
qu’un dépôt de 25.000cfa pour un coût total de 90.000cfa.
Le loyer d’une villa était passé de 40.000 à 160.000
cfa entre 72 et 80 :
l’Etat impose, dès 84, 60.000 maximum. Un
studio est à 7000cfa s’il est muni de l’eau et du courant,
3000 sinon. Dans les nouvelles cités construites parfois loin du centre,
la location-vente d’un 3 pièces ne devrait pas dépasser
10.000cfa par mois et tous les logements ont eau potable, téléphone, électricité, évacuation
des ordures et des sanitaires. En 87, comparé à Bamako, le progrès
accompli à Ouaga était flagrant.
LA FEMME
"
L’émancipation de la femme passe par son instruction et l’obtention
d’un pouvoir économique.
Le travail au même titre que l’homme,
les mêmes droits et devoirs sont des armes contre l’excision et
la polygamie, armes que la femme n’hésitera pas à utiliser
pour se libérer elle-même et non par quelqu’un d’autre."
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